La mémoire d'un quartier ouvrier

Les bâtisseurs

Le site de la Société Linière est acheté en 1895 pour 180 000 F par André Pédrazzi, entrepreneur de fumisterie et Julien Legrand (1865-1924), négociant en cuir, demeurant tous les deux à Brest. Ils s'associent avec René Jayet de Gercourt, officier de Marine puis nécogiant et Albert-François Fauré de Lalène-Laprade (1840-1908), banquier, résidant également à Brest. Dès les premières années de fonctionnement, l'architecte brestois Abel Chabal apparaît avec sa famille comme actionnaire majoritaire.

Son fils, Gaston Chabal devient administrateur associé de la GBL dans les années 1920, associant celle-ci au développement architectural du département. Albert Fauré de Lalène-Laprade décède en 1908, son fils Robert-Germain (1873-1941) lui succède comme administrateur de la briqueterie. René Jayet de Gercourt est tué au front en 1914. Albert de Lalène-Laprade, grièvement blessé, reprend cependant ses fonctions au sein de l'entreprise. Julien Legrand reste également au conseil d'administration, il est maire de Landerneau de 1904 à 1908. La GBL compte également un directeur général. Pierre-Louis Diossin (1847-1950) accède à ce poste vers 1908. Il est déjà chevronné dans le métier puisque son père possède une usine de céramique renommée à Palinges, en Saône-et-Loire. Pierre-Louis Diossin contribue à moderniser les installations et à élargir les productions de l'entreprise. Son gendre, Marcel Soubrier (1903-1985) lui succède, avec les chefs de fabrication Alfred Despretz (décédé en 1966) et Pierre Alias, jusqu'à la fin de la production sur le site.

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Les hommes rouges

Les conditions de travail à la briqueterie, tout comme dans l'usine textile, sont d'une grande pénibilité physique même si, sous la vigilance des premiers syndicats ouvriers de la ville, l'attention du patronat s'est tout de même sensiblement améliorée. De l'extraction aux carrières, au broyage des terres puis au moulage mécanique et à la cuisson, les ouvriers et ouvrières, soumis à des manutentions permanentes des produits, sont exposés au bruit persistant, aux risques de happements par des machines, aux brûlures et surtout aux émanations de poussières dans tous les ateliers.

Le registre de déclaration des accidents du travail de Landerneau pour l'année 1925 (conservé aux archives municipales) comptabilise un taux très élevé de blessés parmi les employés de la briqueterie, parfois jusqu'à 5 par jour. Contusions musculaires et articulaires, plaies aux mains et aux pieds, fractures dues aux chutes de matériaux, lésions cutanées, conjonctivites, brûlures sont les accidents les plus fréquents. Plus insidieuses sont les affections respiratoires liées aux émanations de poussières et aux différences de température entre les ateliers et l'extérieur. Non reconnues par le patronat, pour ne pas avoir à payer d'indemnités, ces maladies très fréquentes dans les briqueteries comme dans les industries extractives sont souvent désignées sous le terme de tuberculose ou de pneumonies et elles mettent parfois un terme précoce à la carrière de certains ouvriers.

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Souvenirs, souvenirs...

L'Association des Amis de la Garenne Traon-Elorn est née en 1982 pour regrouper dans un but festif et mémoriel les habitants du quartier. Marcel Le Bihan, ancien ouvrier de la briqueterie reconverti dans l'horlogerie pour des raisons de santé, en a été le premier président. L'association entreprend ses premiers collectages de mémoire en 1993, sur support papier, et elle les dépose au service du patrimoine de Landerneau. En 2005, Alain Page, né lui aussi à la Garenne et habitant du quartier, devient le nouveau président de l'association. Ses parents ont tenu, de 1944 à 1966, le Café du Pont, restaurant-épicerie installé dans l'ancienne peignerie de la Société Linière. Conscient de la valeur des témoignages et de la disparition de beaucoup d'anciens, Alain Page reprend et développe le collectage.

Il utilise les méthodes de l'inventaire, en lien avec le service du patrimoine de la ville, il enregistre ses interlocuteurs et retranscrit ensuite les entretiens. Un témoin pour chaque secteur du quartier a été choisi, trois anciens résidants, de manière à avoir une bonne représentation. Alain Page a aussi travaillé sur un plan du quartier, regroupant 500 personnes environ de 1920 à 1976, permettant de retrouver les noms des habitants, de restituer leurs maisons, le lavoir, la fontaine. Il a récolté de nombreuses photographies, redonnant vie à ce quartier très animé. Ces coulisses de l'histoire de tous les jours représentent une source d'information de grande valeur.

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Des ruines à la renaissance

Seule usine dans son domaine en Bretagne jusqu'aux années 1960, la GBL subit de plein fouet la concurrence nationale exacerbée par la diminution des gisements d'argile. Les gérants tentent la survie par la diversification des produits jusqu'en 1968, début d'une période de récession pour l'industrie française. La fabrication sur le site s'arrête, 80 ouvriers y sont encore affectés. Seul le négoce de matériaux de construction subsiste et l'ancien site de production se dégrade petit à petit. La cheminée centenaire est abattue en 1997, les longères ouvrières cèdent la place à des logements sociaux en 2002. La société GBL devient en 1997 "Bretagne Matériaux", puis Point P.

L'année suivante, la Ville de Landerneau se porte acquéreur d'une partie du site historique sur lequel subsiste le four Hoffmann et le four circulaire. Dans le cadre de la réalisation de la voie verte reliant le château de Roc'h Morvan à celui de la Joyeuse-Grade à la Forest-Landerneau, la Ville de Landerneau a entrepris la réhabilitation de ce vestige du patrimoine industriel landernéen. Des travaux de nettoyage, de consolidation er de protection ont été effectués afin de permettre l'accessibilité du site. Un parcours d'interprétation permet de comprendre l'histoire de ce lieu, mémoire de la vie ouvrière landernéenne.

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